L’entretien exclusif de Pino Musolino, Président du port de Venise et sa réaction sur les récentes inondations de sa ville.
Venise a été durement touchée par des événements climatiques exceptionnels mais qui malheureusement se répètent de plus en plus souvent.
Vous venez de lancer un appel à la solidarité auprès des principales compagnies de croisières qui fréquentent le port, qu’en attendez-vous ?
Tout de suite après la marée exceptionnelle du 12 novembre, j’ai écrit à toutes les compagnies de croisière qui font régulièrement escale dans notre port, les invitant à participer à une collecte de fonds au bénéfice de la ville de Venise, et j’ai immédiatement obtenu des contributions concrètes. En tant qu’agent de la fonction publique chargé de la gestion du plus grand bassin économique et d’emploi du nord-est de l’Italie (les ports vénitiens emploient plus de 19 000 personnes, dont 4 500 dans le secteur de la croisière), j’ai estimé qu’il fallait aider la population à faire face à cette terrible tragédie. J’ai pensé qu’un signe tangible de solidarité pourrait renforcer la relation de confiance entre l’industrie de la croisière et les vénitiens. Grâce à cette initiative, nous voulons également laisser entendre que le port et ses employés font partie intégrante du tissu social de la ville et qu’ils sont aux cotés des citoyens pour surmonter l’adversité. Je tiens à préciser que Venise et sa lagune se remettent déjà de la catastrophe du mois dernier. Je suis convaincu que nous parviendrons, au cours des prochaines années, à trouver un juste équilibre pour protéger notre territoire et son économie, même si nous devons être, dans un avenir proche, confrontés à des enjeux climatiques de taille, et que nous saurons tirer des enseignements du passé et utiliser les technologies du XXIe siècle, parce que Venise doit continuer à vivre, non pas en tant que musée à ciel ouvert mais en tant que pôle de développement économique, d’innovation et d’emploi.
Face à de tels phénomènes, Ville et Port ne font qu’un et le défi est global. Comment imaginez-vous le rôle du port dans la réhabilitation à venir de Venise, et pour sa protection ?
Pendant la nuit du mardi 12 au mercredi 13 novembre, j’ai pu constater de mes yeux les ravages causés par cette catastrophe. Des meubles, des vêtements, des chaussures, des livres, de simples objets de la vie quotidienne dérivaient sur le bassin de Saint-Marc et le long du Grand Canal, tels les témoins d’une tragédie ayant détruit Venise et la vie de ses habitants. Il est urgent d’agir pour la protection de la ville et de ses habitants. Bien que la protection de Venise ne relève pas de l’autorité portuaire, il n’en est pas moins vrai que le système de digues anti-marée (MoSE) en construction est insuffisant. L’aménagement sécuritaire de la ville doit aller de pair avec des mesures de protection économique et sociale, ce qui implique de préserver le patrimoine architectural et historique de la ville, car la particularité de la culture vénitienne s’est construite autour de son port et de son histoire maritime. Il est donc essentiel de préserver les activités de production du territoire vénitien, sources d’emploi et d’innovation. L’innovation joue un rôle essentiel dans l’équation Port-Développement-Protection, selon laquelle le port de Venise apparaît comme la structure la plus dynamique pour l’utilisation des fonds européens au niveau national. Elle est une structure capable d’entretenir un dialogue permanent avec les centres de la connaissance, tant au niveau local que sur le plan international, sur les questions du développement durable et de la protection de l’environnement.
En matière de changement climatique et de réduction de son empreinte CO2, quelles sont les principales actions menées aujourd’hui par le Port de Venise ?
L’Autorité portuaire du nord de l’Adriatique cherche à renforcer la compatibilité entre développement du trafic portuaire et protection du milieu environnant. Sa stratégie a été élaborée en prenant en compte les dix priorités environnementales des ports européens de l’ESPO ainsi que les dix objectifs de l’Agenda AIVP 2030 que nous avons ratifié en juin dernier. Nos actions sont centrées sur trois priorités environnementales : la qualité de l’air, la consommation énergétique et le changement climatique. En ce qui concerne la qualité de l’air, le Port s’est mobilisé pour le renouvellement du Pavillon bleu de Venise, un accord volontaire par lequel les compagnies de croisière s’engagent à utiliser des carburants à faible teneur en soufre pendant la durée de leur escale dans notre port. Pour ce qui est des priorités en rapport avec la consommation d’énergie et le changement climatique, nous sommes en train de préparer un plan Énergie et Environnement qui, faisant état de la consommation, permettra de mettre en place des mesures d’efficacité énergétique allant plus loin que celles déjà proposées (par exemple, éclairage LED des terminaux de croisière et parcours lumineux alimentés par des panneaux solaires couplés à des témoins LED basse consommation installés le long du chenal). Globalement, le Port cherche à inciter les opérateurs portuaires à participer aux efforts visant à améliorer l’efficacité énergétique des infrastructures et systèmes existants, dans l’objectif de développer, dans un second temps, des projets d’énergies renouvelables.
Le récent rapport du GIEC sur la montée des océans a mis en exergue la fragilité de nombreuses villes portuaires face à ce phénomène. Sur quels points de vigilance souhaiteriez-vous attirer l’attention des membres de l’AIVP ?
Je voudrais mettre en avant l’équilibre nécessaire entre économie et développement durable. À cet égard, bien avant les inondations de novembre dernier, le Port avait réuni à Venise les délégations de sept des principaux ports de croisière européens (Amsterdam, Palma de Majorque, Bergen, Cannes, Dubrovnik, Malaga et Marseille Fos). Cette rencontre est à l’origine de l’initiative “CRUISE 2030 CALL FOR ACTION”, créée en juillet 2019 dans l’objectif de définir des stratégies communes visant à améliorer la compatibilité entre la croisière et les réalités urbaines et environnementales européennes, un thème qui figure au cœur des débats Ville Port de l’AIVP. Les participants ont reconnu l’importance du secteur en termes d’économie et d’emploi, mais ils ont aussi convenu de la nécessité d’intervenir de manière coordonnée afin de limiter ou d’éliminer les coûts externes induits par un tel phénomène. La prochaine réunion aura lieu en janvier 2020, à Palma de Majorque, et les délégations ont décidé de s’atteler dès aujourd’hui à la rédaction d’un plan d’action conjoint qui devra être approuvé à l’occasion de cette rencontre. De nombreux thèmes communs signalés lors des discussions concernaient les contraintes physiques des ports européens, tous construits selon d’anciens modèles architecturaux urbains, d’une grande attractivité touristique mais aussi très fragiles. C’est la raison pour laquelle l’ensemble des ports ayant pris part à l’initiative CRUISE 2030 se sont mis d’accord pour étudier la possibilité de concevoir des navires qui soient plus adaptés aux caractéristiques des ports européens.