Alors que la pandémie continue de faire rage aux États-Unis, une autre crise se profile, plus silencieuse mais encore plus dangereuse : le changement climatique. Ses redoutables conséquences se font déjà ressentir dans certaines régions des États-Unis, comme en témoignent les gigantesques incendies qui ont ravagé la Californie en 2018 et 2020. Les villes portuaires californiennes ont décidé de relever le défi, et, parmi elles, San Diego, souvent citée en exemple pour les efforts remarquables qu’elle déploie en faveur de l’adaptation au changement climatique. Devenir une ville portuaire résiliente et neutre en carbone : c’est l’ambition affichée par le conseil exécutif du Port de San Diego depuis maintenant de nombreuses années. San Diego est le quatrième plus grand port de Californie, après Los Angeles et Long Beach, et le troisième pour le trafic de croisières. La préservation de l’environnement est une tâche essentielle que le Port de San Diego prend très au sérieux. Conformément à l’Objectif n°1 de l’Agenda AIVP 2030, nous avons voulu discuter de l’aménagement durable et résilient des waterfronts avec Michael Zucchet, actuel président du Bureau des Port Commissioners du Port de San Diego.

Le Port de San Diego est membre de l’AIVP depuis 2015.

Des solutions pour réduire les émissions de Co2

AIVP – Vous avez clairement annoncé que la réduction de l’impact carbone et la qualité de l’air constituaient à San Diego des priorités. Pour répondre aux objectifs définis dans votre Plan d’action pour le climat et la « Maritime Clean Air Strategy », votre autorité portuaire souhaite encourager le plus possible l’utilisation des énergies renouvelables et des combustibles alternatifs. Les mesures techniques telles que l’installation de micro-réseaux ou le stockage sur batterie sont aussi déterminantes pour optimiser la consommation énergétique.

Quelles sont vos solutions pour réduire la pollution atmosphérique et les émissions de gaz à effet de serre ?

Michael Zucchet, président du Bureau des Port Commissioners du Port de San Diego – Notre territoire s’étend sur 34 miles le long de la baie de San Diego et borde cinq villes. Il est donc essentiel que nous entretenions de bons rapports avec le voisinage en défendant les investissements dans le développement de nouvelles technologies dans le but réduire les émissions maritimes et améliorer la qualité générale de l’air. C’est important non seulement à cause du changement climatique, mais aussi pour faire en sorte que tout un chacun qui vit, travaille ou joue dans la baie de San Diego et ses environs puisse respirer un air plus pur.

La baie Nord de San Diego, vue vers le Sud © Port of San Diego

Si nous voulons devenir un port plus propre et plus vert, il nous faut définir clairement nos objectifs, nos aspirations et nos attentes, pour nous-mêmes et aussi pour ceux qui travaillent ou envisagent de travailler avec le Port de San Diego. Et, pour réussir, il ne faut pas envisager les projets au cas par cas mais établir une stratégie d’aménagement.
Pour nous aider à définir des objectifs et privilégier les projets permettant de réduire davantage les émissions liées aux activités maritimes pour une meilleure qualité de l’air, nous travaillons, en association avec les parties prenantes et les communautés environnantes, à l’élaboration d’une « Maritime Clean Air Strategy » (MCAS). Cela nous aidera à déterminer quels projets sont économiquement réalisables, comme le développement progressif du camionnage électrique à courte distance sur une ou plusieurs voies d’accès à nos terminaux, ou le remplacement de nos vieux équipements de manutention par des équipements zéro émission ou à faibles émissions. Cela nous permettra également de clarifier le rôle que nous pouvons jouer pour aider nos concessionnaires et nos terminaux à passer aux technologies zéro émission ou à faibles émissions. La MCAS s’inscrit dans le prolongement de notre Plan d’action pour le climat qui établit des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Ce plan, que nous étions parmi les premiers ports des États-Unis à mettre en place, a été adopté en 2013. Jusqu’ici, le bilan est positif : dès 2016 nous avions atteint l’objectif de réduction de 10% fixé pour 2020, avec une baisse de 18% des émissions par rapport aux niveaux de 2006. Nous travaillons actuellement à la révision de ce Plan d’action afin d’aligner ses ambitions avec celles définies pour la période post-2020 par l’État de Californie.
L’État de Californie vise la neutralité carbone d’ici 2045. Mais parce que le changement climatique menace sérieusement la prospérité de notre région, nous nous sommes joints aux efforts régionaux pour raccourcir cette échéance. Le comté de San Diego élabore actuellement, en partenariat avec l’Université de Californie San Diego, le cadre d’un programme régional destiné à diminuer de manière durable les émissions de carbone. Il comprendra des stratégies et des initiatives visant à atteindre la neutralité d’ici 2035. Notre port communique des informations concernant les bateaux, les équipements et véhicules de manipulation des marchandises, tout ce qui constitue des sources d’émissions spécifiques aux activités portuaires. Ce type de collaboration régionale est essentielle pour élaborer des stratégies interreliées et arriver à des résultats positifs.

Vous avez mentionné notre micro-réseau. Il constituera une source d’énergie auxiliaire pour le fonctionnement de nos installations portuaires, notamment les infrastructures de sécurité, l’éclairage et les bureaux d’un terminal de fret, et pour l’alimentation du système de stockage de kérosène de l’aéroport de San Diego. Nous pensons que notre modèle de micro-réseau sera adapté à d’autres installations portuaires californiennes.
Nous travaillons aussi à un aménagement intelligent de la Harbor Drive, la route qui relie nos terminaux de marchandises. Nous voulons développer un système de transport intelligent afin de réduire la congestion, le bruit et la pollution générées par les camions, améliorer les infrastructures de charge des véhicules électriques, et développer des projets de verdissement urbain. Cette « route de transport » utilisera des technologies telles que la signalisation prioritaire pour les marchandises (Freight Signal Priority), des voies réservées aux camions de marchandises et des voies sur lesquelles ils seront prioritaires en dehors des heures de pointe. Cela contribuera à réduire les délais d’attente, à séparer le trafic de camions de celui des autres véhicules et à maintenir les poids lourds sur des voies spécifiques en retrait des zones d’habitation situées à proximité du port.

Représentation de Harbour Drive 2.0 © Port of San Diego

Grâce à ce type d’initiatives, nous allons pouvoir développer notre activité de manière plus durable. En fait, nous avons prouvé que développement économique et développement durable n’étaient pas incompatibles. Le rapport d’incidence économique que nous avons publié en 2017 révèle que nos émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 13% depuis 2006, alors que nos revenus ont augmenté de 29% sur la même période.

Un “master plan” pour la préservation du littoral

AIVP – La préservation et la réhabilitation du littoral sont essentiels face à l’élévation du niveau de la mer. Dans notre newsletter hebdomadaire, nous avons cité en exemple l’une de vos idées novatrices : la création d’un « récif d’huitres ». Des mesures à la fois terrestres et maritimes sont prévues dans votre « port master plan ».

Comme décririez-vous ce master plan pour « l’avenir du port » et en quoi se rapporte-t-il à la protection du littoral ?

Michael Zucchet, président du Bureau des Port Commissioners du Port de San Diego – Ce Port Master Plan reprend essentiellement la législation en vigueur en matière foncière et d’accès à l’eau dans des zones spécifiques de la baie de San Diego et du littoral environnant pour une répartition équilibrée des usages en vue d’équilibrer les usages (activités maritimes, pêche, accueil des touristes, loisirs, conservation et institutions). Le plan actuel a été approuvé en 1981 et n’a jamais été entièrement mis à jour depuis lors. En 40 ans, beaucoup de choses ont évidemment changé. Notre région s’est considérablement développée et la protection de nos installations et ressources côtières demeure plus importante que jamais. En 2013, le Bureau des Port Commissioners a donc lancé une initiative en faveur de la révision du plan dans l’objectif de bâtir un projet d’avenir pour le port. L’intention est d’en faire un outil essentiel propre à concilier les intérêts économiques et environnementaux et communautaires dans la baie de San Diego pour les 30 prochaines années.
Notre administration a particulièrement à cœur de préserver le rivage de la baie de San Diego pour les générations futures. Les conséquences du changement climatique, en particulier la montée du niveau de la mer, constituent une menace pour le port et ses nombreuses activités, qu’elles soient maritimes ou qu’elles concernent l’accueil des touristes, les ressources naturelles, les équipements de loisir ou la sécurité. S’adapter à la montée des eaux et résister aux inondations est pour nous primordial. Nous pensons qu’il n’existe pas de solution toute faite face à cette situation. Dans certains secteurs de la baie, il nous faudra consolider le littoral, mais dans d’autres, les solutions fondées sur la nature devraient fonctionner.

Vue aérienne de la baie Sud de San Diego © Port of San Diego

La dernière révision du Port Master Plan prévoit plusieurs politiques et stratégies visant par exemple à promouvoir l’utilisation de solutions fondées sur la nature pour améliorer la biodiversité et la résilience des zones côtières. Par ailleurs, un récent amendement au Port Master Plan préconise un projet de littoral vivant à l’extrémité sud de la baie. Ce projet, récemment validé par la California Coastal Commission, va permettre au Port, en partenariat avec le conservatoire du littoral californien, de créer un récif ostréicole adjacent au refuge faunique de Chula Vista dans le sud de la baie. Ce littoral vivant, le premier du genre dans la baie, vise à accroître la biodiversité tout en protégeant le littoral des effets liés à la future montée des eaux. Construit à partir de morceaux de récifs destinés à attirer les populations d’huitres indigènes, cet environnement va constituer un habitat « récifal » pour les poissons, les oiseaux, les invertébrés, et les plantes aquatiques. Il permettra également de réagir face à la menace du changement climatique et de l’élévation du niveau de la mer par l’atténuation naturelle des vagues dans les zones d’habitat sensibles situées à proximité, la stabilisation du rivage et l’augmentation des dépôts et accumulations sédimentaires dans les vasières, essentiels aux futures migrations des habitats dans les terres à mesure de l’élévation du niveau de la mer.

La détection précoce des tempêtes et inondations

AIVP – En matière d’adaptation au changement climatique, l’anticipation n’est malheureusement pas suffisante. Les tempêtes que nous subissons sont déjà de plus en plus fortes et de plus en plus fréquentes ! Nous savons que vous travaillez en partenariat avec FREDsense Technologies sur le contrôle des eaux pluviales. Ce genre d’action va devenir plus que nécessaire !

Avez-vous pris des initiatives pour lutter contre les catastrophes climatiques, notamment les tempêtes, et quelles sont-elles ?

Michael Zucchet, président du Bureau des Port Commissioners du Port de San Diego – Les manifestations du changement climatique, dont l’élévation du niveau de la mer, vont devenir une réalité tangible dans le monde qui nous entoure. Nous devons nous y préparer et chercher les solutions en nous-mêmes. Des marées exceptionnelles, associant tempêtes hivernales et grandes marées, ont déjà entraîné érosion côtière et dommages aux infrastructures. En fait, la plus forte marée jamais enregistrée dans la baie de San Diego s’est produite il y a seulement quelques années, en 2015.
Pour évaluer, mesurer et nous préserver des futurs effets potentiels de la montée des eaux, nous avons procédé à une évaluation officielle, sur la base de projections, de la façon dont nos équipements – routes, parcs, habitations, etc., ainsi que nos ressources naturelles, pourraient être affectés. Nous collaborons également avec des partenaires régionaux comme la Marine et l’Institut Scripps d’océanographie. Le Port et la Marine sont les deux plus grosses structures en charge de la gestion de la baie de San Diego et ses environs. Nous échangeons des informations, évaluons ensemble les données scientifiques et les outils de modélisation les plus fiables en matière de montée des eaux et identifions des politiques et des mesures d’adaptation complémentaires tout en améliorant le processus décisionnel concernant l’aménagement, la conservation, la restauration et la gestion de la baie de San Diego. Nous coordonnons nos actions avec le Scripps pour développer un système de surveillance du niveau de la mer et d’alerte des inondations qui nous permettra de calculer avec précision les données environnementales pour mieux comprendre l’impact des crues dans la baie.
Au niveau des aménagements, nous avons surélevé des sites, construit des fondations qui pourront être encore élargies au fil du temps lorsque nous avons renouvelé le système de protection de notre terminal croisière, et nous avons surélevé une rampe de mise à l’eau, la plus utilisée en Californie, en prévision de l’augmentation du niveau de la mer.

Rampe de lancement de navires de Shelter Island © Port of San Diego

Vous avez cité FREDsense, un projet d’innovation pilote porté par le Port via son Blue Economy Incubator. Cet incubateur a en effet été mis en place pour soutenir les projets d’aquaculture et les technologies bleues en vue de constituer un portefeuille de nouvelles entreprises qui pourront nous aider à satisfaire nos exigences environnementales en matière de résilience des zones côtières et de qualité de l’eau. FREDsense développe actuellement un appareil portable cinq-en-un, capable d’analyser en temps réel les métaux présents dans les eaux pluviales.

Site des protections “Ecoconcrete” © Port of San Diego

Un autre projet impulsé par le Blue Economy Incubator consiste à améliorer les performances écologiques du littoral pour lui apporter une stabilité et supprimer à terme les enrochements traditionnels. ECOncrete est une start-up qui développe des modules de type « Tipe-pool » en béton bio-renforcé. Un système de bassins à marée interreliés permet ainsi de stabiliser le littoral tout en favorisant la création d’un écosystème local déterminé inspiré des piscines naturelles, pour plus de biodiversité locale et une meilleure performance biologique. Ce projet pilote s’avèrera être un concept innovant gagnant-gagnant de l’aménagement du littoral alliant la nécessité de répondre au changement climatique aux besoins de développement urbain, tout en agissant en faveur de la précieuse vie marine. ECOncrete a installé d’autres modèles de bassins à marée ailleurs aux États-Unis, ainsi qu’en Europe et en Asie, notamment au niveau du quai 6 du Brooklyn Bridge Park de New York et dans le port de Rotterdam aux Pays-Bas.

Bassin à marées “Ecoconcrete” © Port of San Diego

La contribution du port contre les méga-feux en Californie

AIVP – Même si elles semblent disposer de beaucoup d’eau autour d’elles, les villes portuaires ne sont pas à l’abri des incendies. Le monde entier a pu constater les efforts déployés par la Californie pour lutter contre de gigantesques incendies qui pourraient être une conséquence directe du réchauffement climatique. En 2020, San Diego semble avoir été moins affectée que San Francisco ou Los Angeles. Il est toutefois probable que le sud de la Californie soit aussi un jour durement touché.

Qu’avez-vous prévu pour éviter que ce type d’événement ne perturbe votre supply chain et, de manière générale, pour protéger les vies humaines ?

Michael Zucchet, président du Bureau des Port Commissioners du Port de San Diego – Alors que la Californie est très exposée aux feux de forêt dus au réchauffement des températures, aux vents secs saisonniers et aux modifications de l’écosystème, de par l’emplacement de son waterfront et l’organisation urbaine du territoire, la baie de San Diego n’est pas particulièrement menacée. Malgré tout, au cours des années 2000, le comté de San Diego County a subi deux gigantesques incendies, en 2003 et 2007, entraînant le déplacement de plusieurs milliers d’habitants et des conséquences pour l’économie.
En association avec des partenaires régionaux, le Port de San Diego a élaboré des plans définissant des mesures d’urgence et de réparation adéquates en cas de catastrophe naturelle ou d’origine humaine. Ce plan d’intervention d’urgence, qui implique les principaux preneurs de décision, traite de notre responsabilité en cas d’urgence grave et prévoit la création d’une structure organisationnelle et la mise en action d’un centre d’intervention d’urgence. En outre, le « Maritime Emergency Restoration Plan » que nous avons mis en œuvre explique la procédure de coordination à suivre par le gouvernement et les entreprises pour faciliter la réouverture du port lorsque que le capitaine des gardes-côtes aura ordonné sa fermeture totale ou partielle suite à une menace imminente ou possible, une menace durable ou une catastrophe.

Des mats d’éoliennes en cours de déchargement sur la Dixième Avenue © Port of San Diego

Même si le port en soi n’est peut-être pas menacé par les feux de forêt, les milliers de salariés qui travaillent sur le front de mer et les touristes peuvent en être affectés. Les marchandises, bien sûr, qui transitent dans nos terminaux sont transportées via les autoroutes et chemins de fer régionaux. Ces couloirs de transport peuvent être touchés, retardant l’acheminement de produits et la prestation de services essentiels. Enfin, le fait d’être équipé d’un port en eau profonde vient renforcer la résilience de la région de San Diego. La capacité des services d’urgence à accéder à notre région peut être déterminante en cas de catastrophe majeure. Comme indiqué plus haut, toute la région œuvre pour faire de San Diego un territoire plus résilient.