Peter de Langen, membre du réseau d’experts de l’AIVP, a récemment publié Towards a Better Port Industry aux Editions Routledge. Nous lui avons demandé de mettre en rapport quelques-unes des idées exposées dans son livre avec les turbulences qui agitent aujourd’hui l’économie mondiale et notamment les chaînes de valeur mondiales et les ports.

Dans ce livre, je dis que l’une des principales raisons expliquant l’absence de retour sur investissement, autant pour les usagers que pour la société, est que les décideurs continuent souvent d’agir comme si de rien n’était alors que les perturbations affectent profondément les chaînes de valeur mondiales et l’écosystème de l’économie portuaire. La pandémie actuelle constitue clairement une perturbation qu’il était impossible de prévoir. Son impact immédiat sur la chaîne d’approvisionnement mondiale est considérable, et certains segments sont plus affectés que d’autres. Les produits pétroliers sont évidemment durement touchés, tout comme l’industrie automobile, alors que l’agroalimentaire est moins instable. Mais selon toute vraisemblance, cette crise va accentuer certaines tendances qui se faisaient déjà sentir. Dans un tel contexte, il est nécessaire de bien connaître ces tendances et les scénarios possibles (les unes et les autres sont traités dans le livre) si l’on veut garantir le développement des ports.

Pour certains ports, la pandémie de Covid-19 marquera peut-être un tournant en ce sens qu’ils fonctionnent davantage comme des « écosystèmes économiques » (la deuxième question abordée dans le livre), plutôt que comme des « infrastructures accueillant des flux de marchandises ». Les écosystèmes portuaires peuvent attirer les activités liées à l’économie circulaire (recyclage et valorisation), l’énergie renouvelable, les loisirs et l’économie maritime. Davantage diversifiés, ils résisteront mieux aux chocs extérieurs. Alors que certains ports ont testé cette approche avec succès, d’autres sont peut être encore trop centrés sur les activités traditionnelles. L’âge d’or de la croissance du commerce maritime, particulièrement pour Europe et l’Amérique du Nord, est derrière nous.

Les transitions en cours en matière de mobilité (urbaine) constituent une révolution porteuse d’enjeux pour les villes portuaires et la crise du Corona peut encore accentuer la tendance. Je pense que la crise va accélérer, du moins dans certaines régions métropolitaines, le développement d’une mobilité autonome et durable. Cela aura des implications pour les ports tant au niveau des activités logistiques que du transport de marchandises. De l’avis général, les véhicules autonomes feront bientôt leur apparition sur certains axes routiers et dans certaines zones restreintes. Et c’est là que les choses deviennent intéressantes pour les ports : ils réunissent toutes les caractéristiques requises pour une mise en circulation rapide de camions autonomes. Les flux entre les terminaux sont parfaitement adaptés à l’automatisation et des initiatives sont déjà en cours, entre autres à Rotterdam et Singapour. Les conteneurs circulent aussi beaucoup entre les terminaux et les entrepôts situés en zone portuaire. Le volume de ces flux varie en fonction des ports. À Barcelone, où une zone logistique performante est implantée à l’intérieur du port, ils peuvent représenter environ 15% du volume total de l’import/export. Toutefois, contrairement au secteur de la mobilité des personnes, la participation active de la société portuaire et des principales parties prenantes peut ici s’avérer nécessaire.

Cela nous amène au troisième sujet traité dans le livre : en définitive, pour relever la plupart des défis auxquels ils sont confrontés, il est essentiel que les ports assurent «  une bonne gouvernance ». Le livre tire ici des conclusions claires, notamment en ce qui concerne la nationalisation des sociétés portuaires. Alors que la propriété publique n’est pas toujours requise, elle est appropriée pour la plupart des grands ports, en particulier pour ceux qui sont implantés en zone urbaine. La propriété publique doit aller de pair avec l’existence d’un conseil de surveillance professionnel et indépendant et d’une politique actionnariale très précise qui définisse des orientations. Selon moi, cette approche doit prévoir des objectifs ambitieux en matière de développement durable et de transformation de l’écosystème de l’économie portuaire. Et, dans la plupart des ports et villes portuaires, sinon dans tous, il reste des étapes à franchir pour parvenir à une meilleure gouvernance portuaire. Cet ouvrage devrait fournir des informations pertinentes aux parties prenantes et les inviter à agir ensemble dans ce sens.

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