Prof. Peter Hall, Professor of Urban Studies and Associate Dean, FASS

Il est désormais incontestable que la mise en place d’un modèle de développement durable pour notre société, dans le respect des limites de la planète, est (ou devrait être) notre principal objectif. Des initiatives mondiales telles que les ODD et l’Agenda 2030 de l’AIVP inspirent et incitent les différents acteurs à atteindre ce grand objectif. Mais cela est plus facile à dire qu’à faire, et il y a des obstacles de gouvernance en travers du chemin, comme nous le montre le Prof. Peter Hall dans cet article. Dans les semaines à venir, nous nous concentrerons sur les questions de gouvernance ville-port pour en savoir plus sur les difficultés qui peuvent émerger et les différentes solutions que les ports et les villes ont trouvées pour poursuivre ce chemin vers le développement durable.

Depuis trente ans, le réseau de l’AIVP constitue une instance privilégiée pour la progression de la compréhension mutuelle entre les administrations des villes côtières et les citoyens qu’elles représentent, et entre les autorités portuaires, les entreprises et leurs partenaires. L’AIVP n’a jamais hésité à nous rappeler une vérité qui dérange mais qui doit être dite : les ports maritimes et les villes côtières sont intrinsèquement liés. Un port maritime sans ville n’est qu’un simple lieu de transbordement, sans âme et sans objet. Une ville côtière sans port n’est qu’un simple lieu de résidence, isolé et relié à rien.

Ce message de fermeté s’est répandu dans les villes portuaires du monde entier, et les dernières décennies nous ont beaucoup appris sur la façon de « faire la ville avec le port ». Le « Guide des bonnes pratiques » de l’AIVP, régulièrement mis à jour, contribue à renforcer cette expérience. Les administrations, les collectivités territoriales, les entreprises privées et la société civile se sont inspirés de ce guide pour améliorer l’aménagement et les performances économiques et environnementales de leur ville portuaire. En adoptant et en adaptant les Objectifs de Développement Durable de l’ONU (ODD) dans le cadre de son Agenda 2030, l’AIVP exploite ces enseignements de manière tout à fait convaincante.

Les 17 Objectifs de Développement Durable de l’ONU

Les ODD ont la particularité de se décliner en 167 sous-objectifs énoncés de manière précise et quantifiable. Mais il ne suffit pas de connaître le but à atteindre, et c’est là que la gouvernance entre en jeu. La gouvernance, c’est savoir prendre des décisions en impliquant les bons acteurs.

Malgré la clarté des cibles énoncées, le chemin vers les résultats escomptés est pour le moins obscur. Par exemple, faut-il imposer des normes environnementales strictes aux navires accostant dans un port déterminé, ou bien vaut-il mieux appliquer des normes moins sévères mais qui seront acceptées par l’ensemble de l’industrie maritime mondiale ? La planification Ville Port progressive relève plutôt de la première approche car les responsables politiques locaux sont davantage susceptibles de soutenir des mesures visant à améliorer la qualité de l’air. À l’inverse, le cadre des ODD de l’ONU (et les stratégies liées pour faire face au changement climatique) semble davantage relever de la deuxième approche. Peut-être que la bonne stratégie consisterait à adopter une double approche ou une formule progressive qui créerait un précédent et mettrait en confiance, mais qui peut l’affirmer ?

Aerial photo Maasvlakte, Danny Cornelissen. Provided by the Port of Rotterdam.
Aerial photo Maasvlakte, Danny Cornelissen. Provided by the Port of Rotterdam.

Les meilleures stratégies de mise en œuvre devront s’adapter au changement. Les reconversions industrielles conduisent à l’abandon de certaines portions du waterfront alors que d’autres tombent aux mains des spéculateurs et des développeurs. Lorsque la communauté internationale se relèvera de la pandémie, les routes commerciales auront-elles été modifiées ? Est-ce que les waterfronts urbains densément peuplés seront toujours plébiscités ? Comment concilier l’évolution des usages fonciers avec des ODD centrés sur le changement climatique, la protection des océans et la justice sociale ?

Finalement, même si on nous explique clairement comment nous adapter au changement, il faudra toujours choisir entre différentes options et lisser les effets induits. Par exemple, est-ce que ceux qui tirent profit de la croissance des échanges ou de la relocalisation des activités à distance du waterfront doivent verser des compensations à ceux qui voient le trafic de camions augmenter dans le secteur où ils sont installés ? Et comme les ODD nous demandent de prêter attention à la pauvreté, aux inégalités et à la croissance économique, il devient plus compliqué de déterminer quels seront les gagnants et les perdants des nouveaux aménagements qui seront réalisés sur les waterfronts et les zones portuaires.

La Marina valencia AIVP member
La Marina de Valencia, AIVP member

En d’autres termes, il ne suffit pas de savoir quoi faire, il faut aussi savoir comment prendre les décisions. Il ne s’agit plus de décider quoi faire et comment s’organiser : la gouvernance nous incite à nous pencher sur la meilleure manière de prendre des décisions et avec quels partenaires. La bonne gouvernance garantit la représentation, la concertation, la transparence et la collaboration entre toutes les parties impliquées dans la prise de décision et leur exécution. Plus facile à dire qu’à faire !

Quatre défis de gouvernance et les ODD

Pour conclure, voici, en quatre points, pourquoi les ODD soulèvent de nouveaux défis et rendent ceux de la gouvernance de plus en plus complexes pour les villes portuaires.

Tout d’abord, il y a le défi d’échelle, bien connu des aménageurs ville-port qui doivent étudier l’impact des activités portuaires, comme les lignes ferroviaires, les voies destinées aux camions et le mouillage des navires, tenues à distance du waterfront et des territoires sous son influence. Les ODD, qui, au bout de compte, apportent des solutions mondiales à des problèmes mondiaux, multiplient les difficultés. Jusqu’à quel point les habitants des villes portuaires sont-ils en mesure d’accepter, sans se sentir exclus, des politiques de planification à l’échelle planétaire? Quel rôle peut jouer l’éducation ?

Vient ensuite, le défi multipartite tout aussi connu, qui a trait au large éventail d’acteurs déjà impliqués dans le processus de décision Ville Port, depuis les autorités portuaires, les entreprises et les exploitants jusqu’aux autorités municipales, en passant par les urbanistes et les citoyens. La réalisation des ODD passe par l’implication d’un plus grand nombre d’acteurs, parmi lesquels les promoteurs immobiliers, les spécialistes du milieu marin, les activistes environnementaux et les défenseurs de la justice sociale. Il est pourtant plus facile de coopérer au sein de petits groupes partageant les mêmes intérêts. Comment intégrer tous ces acteurs en évitant qu’une concertation excessive n’entraîne des blocages ?

Port Bahia Blanca, Puerto Abierto

En troisième, le défi des instances, étroitement lié aux premier et deuxième points. De nombreuses villes portuaires se sont appliquées à créer des instances qui encouragent la communication ouverte, la concertation et la prise de décisions conjointes pour atteindre de meilleurs résultats. Mais pendant que les villes portuaires se constituent en réseaux et apprennent les unes des autres, ce sont les gouvernements nationaux qui signent les traités internationaux sur le climat. Ainsi, les ODD sont susceptibles d’entraîner la refonte des instances établies. Comment peut-on garantir que ces évolutions ne déstabiliseront pas les instances existantes et ne mettront pas à mal la confiance instaurée ?

Et dernier point, mais non des moindres, le défi foncier. Les portions de waterfront idéalement situées, propices au développement du commerce, des loisirs et des espaces verts et au fort potentiel attractif, constituent souvent la scène où se jouent les rapports de force les plus délicats entre la ville et le port. Comment concilier les futures exigences liées aux nouveaux usages avec l’élévation du niveau de la mer, l’accueil de nouveaux résidents et la restauration des habitats ?

Construire des villes portuaires durables est un défi de gouvernance. Il en a toujours été ainsi. L’adoption des ODD et leur adaptation aux différents contextes ont toutefois rendu le défi de la gouvernance encore plus complexe. Aussi, réjouissons-nous que l’Agenda 2030 de l’AIVP fasse la part aussi belle à la « gouvernance renouvelée ».